One On One

Des pas de côté, tentatives, « spin-off » – l’histoire de la musique est remplie d’essais et de curiosités d’artistes qui ont voulu expérimenter et se lancer dans quelque chose de nouveau, parfois sous une identité taillée pour l’occasion. David Bowie en rupture avec son travail précédent qui bascule sur le rock avec Tin Machine, la déesse du rock Chrissie Hynde qui se sépare temporairement des Pretenders pour aborder le jazz avec le Valve Bone Woe Ensemble, ou récemment Tom Misch qui, lui, quitte le jazz et s’aventure dans la house sous le nom SuperShy sont quelques exemples des acrobaties de carrière aussi surprenantes que risquées que l’on peut découvrir au détour de sessions d’écoute. Le virage que l’on scrute aujourd’hui, finalement pas si éloigné de celui de Tom Misch avec SuperShy, s’est justement soldé par une semi-réussite…

Réussite musicale, The Martyr Mantras (1991) est aujourd’hui considéré positivement, bien qu’ayant eu un accueil un peu plus mitigé à l’époque de sa sortie. Délicieusement cool, au point sur la tendance émergente de la house music, Jesus Loves You réalise un premier album bardé de bonnes idées et vous fera visiter un des genres les plus savoureux des 90s. Commercialement, toutefois, ce ne fut pas la même histoire… Et c’est certainement la raison pour laquelle vous n’aviez jamais entendu parler de The Martyr Mantras, ni de Jesus Loves You. Derrière cet étrange intitulé de groupe, dont c’est en fait l’unique album, le nom « Angela Dust », répété dans les crédits de songwriting des titres. Un nom lui aussi inventé de toutes pièces, qui cache en réalité… Boy George. Volonté de s’écarter de sa carrière solo et de prendre un peu de recul face au personnage médiatique qu’il est devenu, Boy George se réinvente dans une house du meilleur effet et s’accompagne de producteurs incontournables de la période pour publier The Martyr Mantras, expérimentation qui s’avèrera être un spin-off unique dans sa discographie. Titres longs, grooves house exquis, The Martyr Mantras est taillé pour le club (mais pas particulièrement pour la danse, l’essentiel des titres étant midtempo ou downtempo), avec une polyvalence qui en fait aussi une écoute très appropriée dans votre salon. Paroles politiquement engagées ou évoquant des histoires d’amour contrariées, les thèmes se mélangent agréablement dans l’album et sont portés par l’exceptionnelle performance soul de Boy George, qui ajoute une touche unique, incroyablement savoureuse et organique à cette house. Voilà, pour l’exemple, « One On One« , étiqueté « Brydon LP Remix« , un titre vintage qui vous fera revivre les délicieux moments deep house des 90s…

Bonne écoute, bon weekend et à la semaine prochaine !

💡Si vous aimez ceci, vous aimerez sans doute… La house de Llorca, le virage radical de Tom Misch avec son alter ego SuperShy, ou la house raffinée et instrumentale de Bugge Wesseltoft.

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Feel Like Makin’ Love

Après l’acid jazz tendance nu soul, puis le jazz fusion chez un label légendaire, quelle pouvait être la suite de la carrière du talentueux Tom Misch ? Surprise, sa nouvelle itération pour le moins inattendue lui donne le profil du parfait touche-à-tout…

On n’entend plus suffisamment de house music, genre musical électronique d’inspiration disco ou funk et dont l’apogée commerciale fut aussi brève que satisfaisante, à cheval entre les 90s et les années 2000. Pourtant, c’est si bon ! Comment ne pas se réjouir d’écouter une musique festive dont le nom se traduit littéralement par « foyer » ? C’est certainement ce que s’est dit Tom Misch, tout juste remis de l’excellent What Kinda Music (2020), parution Blue Note Records et succès critique mérité. Simple volonté de tâter le terrain, fantaisie de l’auteur ou crainte de faire un grand écart incompréhensible, le Britannique choisit en tout cas de dissimuler sa véritable identité sous le pseudonyme SuperShy et dévoile discrètement quelques titres quittant totalement le jazz, purs revivals des grandes heures de la house music, à partir du printemps 2022. Mais ce qui était peut-être un simple pas de côté pour son auteur vient de joliment se concrétiser avec la sortie la semaine dernière du nouvel album de Tom Misch, ou plutôt du premier album de SuperShy : Happy Music (2023). Pépite house quasiment parfaite (on regrettera à peine quelques passages en fin d’album qui, loin d’être déplaisants, sonnent plus Tom Misch que SuperShy et cassent un peu trop l’homogénéité de l’ensemble pour être totalement convaincants dans ce contexte), Happy Music fait de la véritable house qui rappelle la « French touch » de la fin des 90s, avec boucles et samples sur des rythmes terriblement entraînants. Démontrant le caractère indémodable de ce genre dont la popularité est passée tel un éclair dans l’histoire de la musique contemporaine, l’artiste chante lui-même plusieurs titres, laissant aussi la place à quelques voix empruntées ailleurs, comme celle de Roberta Flack dont il transforme le classique « Feel Like Makin’ Love » pour en faire une des pistes délicieuses de cet album ensoleillé. Parfait pour la fin de cet été, et définitivement à garder de côté pour les prochains.

Bonne écoute, bon weekend et à la semaine prochaine !

💡Si vous aimez ceci, vous aimerez sans doute… La house « French touch » de St Germain ou Llorca, ou la house de Detroit sur cette fabuleuse reprise de Sade (en bonus à la fin de cet article).

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Rose Rouge

Jalon du nu jazz et de la deep house, Tourist (2001) de St Germain fête ses 20 ans ! Et pour l’occasion, l’auteur s’est entouré d’amis pour publier aujourd’hui Tourist Travel Versions (2021). Au programme, des versions entièrement repensées par des artistes proches de St Germain. La consigne donnée était simple : reprenez le titre que vous avez préféré sur Tourist

Et la tracklist peut sembler peu variée au premier abord : sur 11 titres, 5 remixes de « Rose Rouge » et 4 de « Sure Thing » ! Ainsi sacrés « titres préférés » de Tourist par consensus, ces deux morceaux emblématiques de l’album original occupent à eux seuls presque la totalité du nouvel album. Mais l’apparente répétitivité des titres dissimule en fait une grande variété à l’écoute : de la deep house à l’inspiration de la musique africaine, Tourist Travel Versions multiplie les nuances autour de ses morceaux phares pour offrir un savoureux mélange, ne trahissant jamais l’oeuvre de 2001 mais expérimentant avec de nouvelles textures qui s’approprient efficacement les sons de St Germain. Album « compagnon » inattendu de Tourist, Tourist Travel Versions est au final un très bon cru house et nu jazz. Forcément moins révolutionnaire que son modèle – l’idée étant davantage de célébrer un anniversaire et de rendre hommage que de réinventer un concept –, cette « version de voyage » a en tout cas le mérite de remettre en avant d’une très belle façon la grande qualité du matériau original et de satisfaire cette envie « d’un peu plus » qui subsiste lorsqu’un bon album se termine. Une proposition qu’il serait dommage de refuser. Pour ce vendredi, finissons la semaine avec la version de « Rose Rouge » ouvrant l’album, dans une reprise délicieusement deep house par Atjazz…

Bonne écoute, bon weekend et à la semaine prochaine !

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City Fade

Cette semaine, je vous propose de continuer à alimenter votre playlist (quasi) estivale ! Restez avec moi dans l’humeur ensoleillée de la semaine dernière avec un titre électronique bien différent mais approprié aux mêmes circonstances – cette fameuse période de l’année où les soirées s’allongent et offrent d’agréables moments en fin de journée…

Nous avions déjà parlé de Nicolas Jaar, artiste musical chilo-américain éclectique qui nous avait gratifié d’un premier album positivement remarqué par la critique. Pour son troisième album, après un succès grandissant, Jaar a décidé de publier presque confidentiellement et sans prévenir une collection de titres électroniques sous un alias – Against All Logic, littéralement, « contre toute logique ». Révélateur d’une démarche inattendue ou simple trait d’ironie, 2012–2017 (2018) de Against All Logic s’inscrit en tout cas dans une belle continuité avec les travaux précédents de Jaar et embrasse des influences tour à tour funk et house pour confectionner un album qui regorge de titres plus grand public que sur Space Is Only Noise (2011), mais aussi rafraîchissants qu’accrocheurs. « City Fade » est un très bon argument de vente pour 2012–2017 : élégamment produit, avec son humeur dancefloor ambivalente partagée entre handclaps et chœurs paisibles, c’est l’un des titres les plus instantanément séducteurs de l’album… Parfait pour un vendredi ensoleillé !

Bonne écoute, bon weekend et à la semaine prochaine !

Yellow Is The Colour

C’est l’illustre pianiste Erik Satie qui aurait, le premier, théorisé ce qui deviendrait la « musique d’ambiance » en définissant une musique qui pourrait créer l’arrière-plan sonore d’une activité, plutôt qu’être au centre de l’attention. Brian Eno, qui complétera cette définition, parlera de musique suffisamment qualitative pour s’apprécier avec attention, mais permettant tout autant l’écoute avec détachement, selon l’envie de l’auditeur. Eno distingue ici clairement la « musique de fond » de cette « musique d’ambiance », qui ne cherche pas à gommer toute spécificité mais au contraire à être capable de se rendre aussi intéressante que possible pour l’auditeur attentif. Les soirées qui s’allongent sont ainsi toujours propices à un peu de nu jazz, deep house ou autres styles électroniques qui créent cet « arrière-plan » si plaisant. C’est justement à un autre pianiste que nous devons le titre que j’ai sélectionné cette semaine…

Bugge Wesseltoft est un pianiste jazz auteur de plusieurs albums en piano solo, mais également d’albums électroniques regroupés sous ce qu’il intitule « nouvelle conception du jazz ». Inspiré par le classique comme par la house, le nu jazz de Wesseltoft n’est pas sans rappeler l’atmosphère des albums d’artistes comme St Germain et propose des titres longs et riches d’instruments organiques et de sons électroniques. Pour Moving (2001), le jazzman norvégien propose six titres atteignant presque tous les dix à douze minutes. Il ne serait pourtant pas représentatif de dire que chaque titre prend son temps, tant il se passe des choses à l’écoute ! Percussions numériques et nappes électroniques accompagnent contrebasse, piano et saxophone dans des thèmes passionnants dont la structure évolue au fur et à mesure, comme c’est le cas de « Yellow Is The Colour » que je vous propose en écoute aujourd’hui. Sophistiqué, le jazz de Bugge Wesseltoft n’en est pas moins une excellente « musique d’ambiance » telle que Brian Eno la décrivait – subtile et réjouissante pour les tympans, que ceux-ci lui soient entièrement dévoués ou juste discrètement exposés.

Bonne écoute, bon weekend et à la semaine prochaine !

 

Five Fathoms

Temperamental (1999) fut le chant du cygne de Everything But The Girl (EBTG pour les intimes). Difficile de se faire à l’idée que l’album reste le point final de la carrière du duo britannique formé par Ben Watt et Tracey Thorn : deuxième essai électro du groupe (plutôt pop, rock et folk à la base), Temperamental réussissait complètement le virage engagé avec Walking Wounded (1996) et proposait un son house qui reste très plaisant deux décennies plus tard.

Temperamental porte parfaitement son nom. Bien qu’il soit constitué d’un mélange de pistes house bien rythmées et de morceaux downtempo, l’atmosphère nostalgique de l’album joue un rôle profondément structurant : on s’en rend compte à l’écoute, il ne s’agit pas d’un enchaînement anonyme de pistes variées mais bien d’un assemblage réfléchi qui déploie toutes ses nuances émotionnelles au fur et à mesure. Introspectif, Temperamental l’est : Tracey Thorn et Ben Watt proposent des thèmes qu’on devine assez personnels (ils réalisent d’ailleurs tout l’album à eux seuls), enveloppés de mélancolie. « Five Fathoms« , ouverture de l’album, entre dans les titres house et énergiques de Temperamental. Thématiquement et musicalement centré sur le clubbing, mais avec toujours cette ambivalence émotionnelle qui est au cœur de l’album, le titre s’offre une place de choix pour installer son ambiance subtilement douce-amère… Prêts à faire la fête comme si on était en 1999 ?

Bonne écoute, bon weekend et à la semaine prochaine !

The End/I Cry

Les beaux jours commencent à revenir petit à petit, avec leurs soirées qui s’allongent et les températures qui s’adoucissent. Synonymes de moments de détente après une journée de travail et de weekends en extérieur, ces débuts de printemps sont aussi l’occasion idéale de revenir vers des albums ensoleillés qui peuvent accompagner un apéritif en terrasse ou une soirée de qualité entre amis…

« Better late than never…« , nous écrit Llorca dans la pochette de son nouvel album The Garden (2017) sorti la semaine dernière, et à juste titre : l’artiste électronique français n’avait plus paru de disque depuis son excellente première production, Newcomer (2001). Si le funky The Garden sonne comme un incontournable de la saison et peut dès à présent être mis de côté pour préparer votre stock musical des beaux mois à venir, son aîné Newcomer vaut toujours la redécouverte et reste un indémodable du genre ! Plus house et jazz, dans le même esprit que ce qu’on pouvait également entendre chez St Germain à la même époque, Newcomer alliait avec plaisir des mélodies électroniques mâtinées de funk ou de bossa nova à du chant soul de grande qualité et à des vrais instruments (trompette, saxophone) pour un résultat dont on ne se lasse toujours pas 16 ans plus tard. Vrai album bien structuré et qui se savoure d’un trait, Newcomer a le sens du spectacle et offre un final splendide avec « The End« , groove downtempo aussi classe qu’irrésistible, que je vous invite sans plus attendre à (re)découvrir aujourd’hui. Je vous propose la piste telle qu’elle est pressée sur le disque, c’est-à-dire avec une surprise cachée après la fin du morceau, non indiquée sur la pochette : « I Cry » (dont une version est déjà présente dans l’album, mais qui apparaît ici sous un tout nouveau jour), un superbe spleen funky chanté par Mandel Turner…

Bon weekend à tous et à la semaine prochaine !